Originally Posted by
Heavylaw.
note : 10/10
13 années de gestation, un unique morceau de plus de 70 minutes, une dizaine d'invités prestigieux (dont Arjen Lucassen), un concept phénoménal par son ambition et sa réalisation,... "Cybion", le premier opus des français de Kalisia, est incontestablement l'album de tous les records ! Un véritable monument discographique qui, selon toute vraisemblance, devrait marquer durablement les esprits et s'ériger en référence pour de nombreux musiciens et amateurs de Metal classieux.
Un album conceptuel de cet envergure mériterait une chronique elle-même conceptuelle : une seule et unique phrase, telle une longue litanie de 70 lignes riches d'effets stylistiques et autres licences poétiques... Seulement voilà, je suis loin de posséder, en terme de "plume", le dixième du talent musical de Brett Caldas-Lima (le maître à penser de Kalisia). Ce sera donc une chronique tout ce qu'il y a de plus classique...
Concernant le concept de l'album, « je laisse le soin à l'auditeur de le découvrir par lui-même, le plaisir n'en sera que plus grand ! ». Pardonnez-moi cette petite facilité d'usage, mais ce type de phrase clichée est symptomatique du chroniqueur quelque peu débordé par la complexité de l'œuvre en face de lui... Pour présenter "simplement" les choses, disons qu'il s'agit d'un concept de science-fiction où l'humanité, après avoir découvert l'existence d'une forme d'intelligence extra-terrestre, est en pleine crise de conscience, en proie au doute, et s'interroge sur son avenir, son existence, son intérêt, ... Preuve de l'implication titanesque du groupe dans cet album, un langage a part entière, le Kal, a même été crée pour l'occasion. « (…
ce langage articulé possède ses propres règles grammaticales, sa propre sémantique et étymologie, et sa calligraphie est également unique. Le Kal résulte de l’étude de différents langues vivantes, mortes ou imaginaires telles que le sanskrit, le latin, l’anglais, l’arabe, le grec, l’allemand, le japonais, et même le quenya ainsi que le tengwar. ». Qui peut se targuer d'être aller aussi loin dans la réalisation d'un concept ?
En parallèle de l'écoute, s'attacher aux textes et aux superbes illustrations qui les accompagnent, permet de s'immerger pleinement dans l'œuvre. On se prend alors à rêver, et on souhaite voir se réaliser pour "Cybion" un destin similaire aux grands concepts albums qui ont marqués leur époque (e.g. "The Wall" de Pink Floyd, "Brave" de Marillion, ou "Operation Mindcrime" de Queensrÿche), à savoir porter cette musique à l'écran ! Après tout, pourquoi pas ? Tout s'y prête...
Kalisia combine avec maestria le côté froid du Death Metal technique au côté plus organique de leur musique, vecteur d'émotions et de sentiments divers. Le groupe joue donc constamment sur l'opposition des styles, tout en maintenant une étonnante cohésion d'ensemble. Par cette habile juxtaposition d'éléments en apparence contradictoires, "Cybion" peut se définir comme un oxymore musical parfaitement réussi !
Ainsi, chants "death" et chants clairs (féminins, masculins et même robotiques) se partagent l'affiche aux côtés de chœurs grandiloquents ou de parties narratives plus intimistes. Des orchestrations dignes d'une bande originale de film cohabitent étroitement avec des breaks ambiants plus confidentiels. Une rythmique furieusement puissante (dont la violence maitrisée n'est pas sans évoquer Emperor), ou l'atmosphère martiale proche d'un Samael, s'acoquinent malicieusement à la volubilité d'une basse groovy et la précision chirurgicale d'une batterie polymorphe. Des riffs de guitares tantôt saccadés et convulsifs se muent par la suite en lignes mélodiques véloces et autres soli endiablés (à ce titre, l'influence du jeu de Paul Masvidal est flagrant par moments). Et une multitudes de claviers, sous formes de nappes ambiantes chaleureuses ou de soli effrénés, viennent contrebalancer le côté plus impersonnel de diverses sonorités techno-éléctros-métalliques austères... Et ce n'est pas tout ! Car, épisodiquement, viennent se greffer à ce maelström musical des percussions tribales, des passages aux relents folks, de la flute, des guitares acoustiques, du saxophone et même du Funk !
L'univers de Kalisia se révèle donc être un véritable melting-pot de ce que la scène progressive, technique ou, disons-le clairement, "haut de gamme", peut proposer. "Cybion" se présente alors comme un enchevêtrement de parties notablement complexes, dont l'arrangement a du se révéler un véritable casse-tête ! Comme par miracle (le miracle étant en l'occurrence du talent), le rendu sonne étonnamment fluide et naturel. Un vrai travail d'orfèvre qui permet de ne pas perdre un instant le fil conducteur de l'album, lequel s'écoute d'une traite, sans accroc, ni baisse d'attention...
Un petit mot pour vous parler du second CD qui accompagne la somptueuse version digipack limitée de cet album. "Origins", c'est son nom, renferme la première démo du groupe, "Skies", publiée originellement en 1995 et qui montre déjà tout l'étendu des talents du groupe à cette époque. Mais vous n'avez encore rien vu... ou plutôt entendu ! Car les membres de Kalisia nous réserve encore des surprises, et des bonnes. Ils nous gratifient, en effet, de reprises de leurs références musicales, accompagnés d'invités de renom : Angela Gossow (Arch Enemy) et Christophe Godin (Mörglbl) sur "How Could I" de Cynic, David Scott McBee (Shock Opera), Tom MacLean (To-Mera) et Charly Sahona (Venturia) sur "A Fortune in Lies" de Dream Theater, Sonm (Forest Stream) sur "I am the Black Wizard" d'Emperor, et Ludovic Loez (S.U.P.) et Paul Masvidal (Cynic, Aeon Spoke) sur "This Dazing Abyss" de Loudblast. Inutile de préciser que ces 'covers' sont impeccablement interprétées et ô combien jouissives. Elles rendent respectueusement hommages à leur auteurs d'origine, tout en proposant une petite touche personnelle bienvenue.
Pour conclure, et dans l'éventualité où d'aucuns se rendraient directement au dernier paragraphe de la chronique sans s'encombrer de toute la lecture précédente, "Cybion" impose le respect et s'impose comme une œuvre majeure du paysage métallique ! Tel un monolithe gigantesque érigé en icône absolue, il règnera en maître pour des siècles et des siècles ( Amen ! ), même s'il risque d'en rebuter certains par son accessibilité difficile et son aspect 'massif'... Se délecter de l'opus demande tout de même de pouvoir se consacrer 72 minutes à temps plein, ce qui n'est pas forcément donné à tout le monde, tout le temps. Mais je ne saurais que trop vous conseiller de vous laisser tenter et de vous y plonger à corps perdus, car cette aventure vaut assurément la peine d'être vécue...
Bonobo_666